Le temps des Solutions 2.0 fondées sur la Nature : Comment l’Afrique et l’Europe peuvent-elles innover ensemble pour régénérer la biodiversité ?

Mardi 14 décembre 2021 – 11h05 à 11h55 – Jour 2 – Plénière  2 – Auditorium, thecamp –

Modération par Samir ABDELKRIM

Panélistes :

Lydie BEASSEMDA – Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de l’innovation du Tchad.


Didier REAULT – Vice-président du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, Délégué à l’Agenda 2030, aux Solutions fondées sur la nature et aux Risques majeurs


Patricia RICARD – Institut Océanographique Paul Ricard, Présidente


Sarah TOUMI – United Nations, Chargée de suivi de l’Accélérateur de la Grande Muraille Verte Great Green Wall Accelerator


Ange-Frédérick BALMA – LIFILED, CEO
Corinne BRUNON-MEUNIER – Institut de recherche pour le développement, Directrice-générale déléguée


Samir ABDELKRIM – EMERGING Valley, Fondateur

Mise en contexte

Sujet emblématique du Sommet depuis sa création, la biodiversité 2.0 revient pour cette 5ème édition, avec le soutien historique du Conseil Départemental des Bouches du Rhône. Dans la continuité du Congrès mondial de la Nature, au lendemain de la pandémie de COVID-19 et à la veille de l’échéance fatidique de 2030, il s’agira d’explorer les initiatives technologiques au service de la nature. A l’heure où les menaces envers les territoires provençaux, européens comme africains ne faiblissent pas, la technologie doit nous permettre de mieux connaître les environnements qui nous entourent, de mieux les protéger et d’inventer les solutions régénératrices, basées sur la nature et au service de celle-ci, qui préserveront les futures générations. Aux côtés de ses responsables d’aires protégées, de ses startups et de ses chercheurs, le département des Bouches du Rhône, premier département propriétaire foncier dispose de tous les atouts pour se positionner en fer de lance des innovations inspirées de la nature au service de nos sociétés sur l’axe Europe-Afrique. Renforcer le rôle du Département comme laboratoire de la biodiversité 2.0 sur l’axe Euro-Med-Afrique est une ambition qui a rassemblé les experts de cette plénière, lors de laquelle des pistes d’actions concrètes et des recommandations issues du LAB d’intelligence collective - exercice d’open innovation porté par le Département qui s’était tenu la veille ont été soulevées.

Commençons par un état des lieux : le Tchad est un pays d’une superficie de 1,284 million de kilomètres carrés qui fait partie de la zone sahélienne, avec 10 % de zone soudanienne, 43 % de zone sahélienne et 47 % de zone saharienne. Le pays dispose d’importantes potentialités en matière de biodiversité, et compte une dizaine de zones protégées avec trois parcs et sept réserves de faune. Le Tchad n’a cependant pas fini d’explorer ses potentialités en lien avec la biodiversité.

En matière de conservation de la biodiversité, le défi majeur du pays est sa vulnérabilité climatique et environnementale, suivie de l’augmentation attendue de la température d’un à deux degrés.
En parallèle, l’occupation du sol par des exploitations agricoles se renforce : en 38 ans de 1975 à 2013, la savane a ainsi reculé de 17 %, tandis que les terres agricoles ont triplé. Les zones sablonneuses représentent désormais 22 %, soit une dégradation intense de l’écosystème.

Au vu de ces constats, la préservation écologique des milieux en vue d’une plus grande résilience au changement climatique est donc fondamentale. Les paysages agro-sylvo-pastoraux méritent d’être protégés. Le Tchad fait partie de réseaux africains, et l’approche sectorielle inclut ainsi les instruments internationaux de conservation de la biodiversité : les conventions internationales, mais aussi des stratégies et plans nationaux visant à réduire les effets du changement climatique. Deux lois majeures portent notamment l’une sur la protection de l’environnement, l’autre sur le régime des forêts, de la faune et des ressources halieutiques. La maîtrise de l’eau constitue le premier besoin, et une centaine de projets ont été mis en œuvre en ce sens. La politique vise aussi à restaurer les sols dégradés. Des actions sont menées pour réintroduire les oryx et les addax dans une réserve. Par toutes ces actions, le Tchad participe à la préservation de la biodiversité.

En trois ans, plus de 2 millions de plantations au Tchad

Le Tchad a été le premier pays à accueillir la représentation régionale de la Grande Muraille verte. L’agence de la Grande Muraille verte constitue un outil très important pour la préservation de la biodiversité.

La vulnérabilité climatique et environnementale, enjeu majeur pour le Tchad

35 000 hectares de terres dégradées ont pu être restaurées, ce qui est essentiel au Sahel, et le projet a déjà permis de créer 7 000 emplois permanents et saisonniers : l’impact est réel. Les habitants peuvent produire de l’agriculture, mais aussi développer l’élevage et la Grande Muraille a entraîné la création d’au moins dix fermes communautaires. Des équipements ont été fournis aux foyers, des micro-projets ont été financés. Les habitants ont ainsi la possibilité de bénéficier de semences améliorées, tandis qu’un data center permet aux producteurs d’envoyer des messages et de demander appui à l’animateur rural ou à des spécialistes. L’économie numérique joue ainsi un rôle notable : l’économie verte permet de promouvoir l’accès à l’employabilité des jeunes, un enjeu important.

 « Entre 2016 et 2019, plus de 2 millions de plantations ont été réalisées au Tchad. Cela représente beaucoup pour des populations qui font face au changement climatique. »

L.Beassemda

Le vivant doit être perçu comme la bibliothèque du changement de demain

Le Lab d’intelligence collective organisé le 13 décembre 2021 au Palais du Pharo témoigne d’un consensus sur la nécessité de préserver la biodiversité et de s’intéresser au biomimétisme. L’approche doit porter sur les services systémiques. Il n’y a ni économie ni agriculture sans biodiversité, et le vivant est en ce sens l’instrument de survie, la base de vie. La science et notamment la possibilité d’aller jusqu’à l’échelle nano permet de mieux comprendre le vivant, la façon dont la nature exploite les matériaux avec des innovations de rupture remarquables : le vivant est éminemment durable.

Les sciences de la durabilité constituent en effet aujourd’hui la feuille de route de tous les pays et de tous les continents.

Les termites ont inventé, il y a un million d’années déjà, l’air conditionné en faisant circuler l’air froid du sol et l’air chaud de la colonne d’eau de leur habitat. Autre innovation actuelle celle-ci : les pales des éoliennes, qui sont inspirées des nageoires des baleines ou des oiseaux, qui ont besoin de portance en limitant la quantité d’énergie. Regarder le vivant comme autant de datas fournit ainsi des réponses extraordinaires.

Nos difficultés actuelles viennent en partie du fait que les économies s’inscrivent dans une approche aiguisée par l’excellence de la mathématique et de la physique. Or, le vivant, c’est avant tout la biologie et il n’y a pas de biologistes dans les conseils d’administration ou dans les banques, or c’est probablement là que se situe la voie de la vraie rupture. Le vivant doit être perçu comme la bibliothèque du changement de demain, et avec lui de l’adaptabilité au changement climatique.

Pour faire avancer des projets, l’idéal est de réunir un carré magique avec : une université, qui favorise l’acquisition et la diffusion des connaissances, l’entreprise pour le déploiement du projet et sa pérennité économique, une ONG pour le lobbying et le saut réglementaire et un territoire, une institution pour le portage politique et l’accompagnement. Il existe beaucoup de solutions du côté du vivant et l’objectif doit être de protéger à la fois la biodiversité, le climat et l’océan, pour un futur meilleur.

« Comment rester sur terre, si possible au sec, en limitant nos émissions en carbone et en arrêtant le plus rapidement possible l’érosion de la biodiversité ? C’est le vivant qui nous donne les meilleures solutions, avec des approches écosystémiques pour travailler ensemble, et des méthodologies incroyablement sobres en carbone. »

P. Ricard

 

Les startups au cœur des solutions pour lutter contre le réchauffement climatique

Une quinzaine de représentants de la Côte d’Ivoire sont présents au sommet EMERGING Valley, dont certains ont notamment participé au Lab d’intelligence collective – qui a réuni entreprises, financeurs, ONG et institutions – présentant des solutions de haut niveau en faveur de la biodiversité.

Les moyens d’échanges des lucioles permettent de communiquer entre les ampoules.

Il faut passer à l’action

Continent en pleine expansion, l’Afrique va beaucoup consommer, se transformer. Cette transformation requiert des projets pilotes. Si nous ne passons pas à l’action, toutes les théories, toutes les études n’aboutiront pas. L’innovation doit être placée au cœur des projets de lutte contre le réchauffement climatique et de préservation de la biodiversité.

« Les startups sont aujourd’hui au cœur des solutions proposées pour lutter contre le réchauffement climatique. Ainsi LIFI-LED développe, depuis près de sept ans, la transmission de données par la lumière. »

 

A-F. Balma

Pl@ntNet, plateforme collaborative de collecte de données sur la flore sauvage

Les solutions en faveur de l’environnement doivent marier les apports de la nature et du digital. L’IRD a ainsi développé, avec d’autres institutions, l’application Pl@ntNet. Il s’agit d’une plateforme participative de collecte, de production et d’agrégation botanique par reconnaissance visuelle.

« Pl@ntNet permet de collecter beaucoup de données sur la flore sauvage, mais aussi sur les plantes agricoles issues de l’ensemble des continents. Un partage des connaissances qui permet de faire émerger des solutions en matière de conservation et d’études. »

 

 

C. Brunon-Meunier

Cinq enjeux pour favoriser la biodiversité

La première partie du Lab tenu à la veille d’EMERGING Valley a permis d’identifier les enjeux et les objectifs généraux. Mobiliser l’ensemble des acteurs des deux rives de la Méditerranée est un défi qui concerne tout le monde en France, en Europe comme en Afrique. Il convient de mettre en commun toutes les recherches plutôt que de fonctionner en silos.

Par le passé, l’homme était considéré comme tout puissant, capable de tout résoudre, de maîtriser la nature. Ce n’est pas le cas, comme le prouvent notamment les inondations survenues ces derniers mois. Les infrastructures ne peuvent pas tout régler, et il convient de revenir aux solutions extraites de la nature avec des zones d’expansion de crues, la préservation de zones humides et de la biodiversité. Il convient également de partager avec les chercheurs : tous ceux qui ont une idée mais qui ne savent pas comment la faire vivre.

 

 


Lors du Lab, cinq enjeux ont été définis : favoriser la connaissance du vivant et l’interdisciplinarité ; remettre le vivant au centre des stratégies pour favoriser la diversité et la résilience ; valoriser, pour les préserver l’ensemble des forêts et des systèmes écosystémiques ; encourager des formes de gouvernances partagées, par une solidarité planétaire et, enfin, favoriser l’acquisition des connaissances. Des espèces ont ainsi été redécouvertes récemment dans les Bouches-du-Rhône, alors que les scientifiques ignoraient leur présence. Il est important de mobiliser la population pour qu’elle participe à ces collectes d’informations.

« La valorisation de la biodiversité passe par la connaissance, par la bonne
gestion des espaces, mais aussi par la sensibilisation des publics. » 

 

 

D. Réault

La Grande Muraille verte, projet emblématique majeur au Sahel

Ce projet, qui a un peu plus de dix ans, peine à avancer. C’est la raison pour laquelle l’accélérateur de la Grande Muraille verte a été créé en 2021 à Bonn en Allemagne, afin de coordonner les efforts.

Les solutions sont nombreuses sur le terrain, et la stratégie passe par la mise en œuvre de technologies qui vont faciliter la coordination et la communication entre les différents acteurs. La volonté politique ne suffit pas : elle doit se connecter avec les attentes et les besoins des acteurs de terrain.
L’accélérateur de la Grande Muraille verte travaille actuellement sur une plateforme digitale qui vise à collecter les données de terrain. Les partenaires financiers se sont engagés à débloquer une enveloppe de 19 milliards de dollars d’ici 2025, mais cela suppose l’accès à des données. La plateforme permettra de mieux orienter les stratégies des pays, mais aussi des acteurs de terrain, et de mieux connecter les opportunités et les projets.

« La Grande Muraille verte est un projet politique emblématique créé par l’Union africaine en 2009, qui vise à restaurer 100 millions d’hectares de terres dégradées d’ici à 2030 dans 11 pays du Sahel, de la Mauritanie jusqu’à Djibouti. »

 

 

S. Toumi

ZOOM SUR … DES INITIATIVES CONCRÈTES AU LENDEMAIN DE LA COP 26

Patricia RICARD

Au Sénégal, miser sur la pisciculture pour réutiliser l’eau

« Au Sénégal, un comité de femmes qui font du maraîchage nous a sollicités parce que l’eau est trop précieuse pour ne servir qu’une fois. Nous avons donc installé des bassins avec des poissons, ce qui leur permet d’obtenir des protéines, des vitamines et des micro-nutriments. La nourriture, mais aussi la biodiversité, reviennent au centre des villages. L’Institut Paul Ricard a aidé ces femmes à construire les premiers bassins. Ceux-ci sont équipés de capteurs. À l’Institut, dans le Var, nous avons des alarmes. Nous surveillons les constantes des bassins pour les garder en bonne santé. Il faut ramener le vivant, qui comprend l’océan, car il est notre seul bouclier contre le changement climatique. Nous allons être confrontés à des périodes de famines terribles. Ramener le vivant, c’est ramener la nourriture, les vitamines, les protéines. Le digital nous permet de préserver les ressources. »

Didier REAULT

L’étang de Berre, terrain de jeu de l’étude de la biodiversité

« L’étang de Berre est un formidable terrain de jeu pour étudier la manière dont les principes de régénération de la nature peuvent se mettre en place. L’étang de Berre se situe au confluent de deux bassins versants, l’Arc et la Durance. Il permet d’étudier comment conserver une activité visant à produire de l’énergie tout en préservant les zones humides. Tous les acteurs, y compris les habitants, doivent ainsi se mobiliser pour faire face à des problématiques d’approvisionnement en eau potable, mais aussi aux risques d’inondation. »

Corinne BRUNON-MEUNIER

Ouvrir la Science pour l’implication de tous

« Pour travailler encore mieux, il faut avoir des sciences ouvertes qui mettent à disposition des partenaires et de la société des publications scientifiques. L’IRD a ouvert ses publications depuis plus de 30 ans. Un plan national de la science ouverte a depuis été ouvert en France. Les sciences participatives sont un autre atout : elles s’organisent autour d’une plateforme “ALLISS”, l’alliance sciences sociétés. Les initiatives se multiplient ainsi en France, avec les boutiques pour la science ou encore les plateformes pour le climat. »

Sarah TOUMI

Grande Muraille verte : au tour des acteurs non-étatiques de s’engager

« La Grande Muraille verte a été un exemple de lobbying à haut niveau. Le président de la République française et onze chefs d’État africains se sont engagés. Pour passer à l’action, il faut maintenant que les acteurs non étatiques s’engagent, ce qui suppose une communication entre tous les acteurs. »

Synthèse

Face aux enjeux majeurs que représentent le changement climatique et la préservation de la biodiversité, tous les acteurs doivent se mobiliser. La nature et ses innovations de rupture nous fournissent déjà de nombreuses solutions, dont il faut s’inspirer toujours davantage. Un autre atout dans cette mobilisation planétaire peut-être le digital, qui permet notamment de faciliter l’accès à la connaissance et au partage d’informations. Le Lab organisé le 13 décembre 2021, à la veille du Sommet EMERGING Valley, a ainsi permis de mettre en évidence les différentes manières de s’inspirer au mieux de la nature pour construire le monde de demain.

à retenir

Le Tchad s’engage activement pour la Grande Muraille Verte : 35 000 hectares de terres dégradées ont pu être restaurées et le projet a déjà permis de créer 7 000 emplois permanents et saisonniers. Des équipements ont été fournis aux foyers, des micro-projets ont été financés. Les habitants ont ainsi la possibilité de bénéficier de semences améliorées, tandis qu’un data center agricole a été mis en place.
Le Lab d’intelligence collective co-organisé par le Département des Bouches-du-Rhône et EMERGING Valey le 13 décembre 2021 au Palais du Pharo témoigne d’un consensus sur la nécessité de préserver la biodiversité et de s’intéresser au biomimétisme.
L’un des enseignements du Lab est que les infrastructures ne peuvent pas tout régler, et il convient de revenir aux solutions extraites de la nature avec des zones d’expansion de crues, la préservation de zones humides et de la biodiversité.
Les sciences ouvertes et les sciences participatives favorisent le partage des connaissances, et fondent le principe de l’application Pl@ntNet, qui permet ainsi de faire avancer la connaissance de la flore.
L’accélérateur de la Grande Muraille verte travaille actuellement sur une plateforme digitale qui vise à collecter les données de terrain. Les partenaires financiers se sont engagés à débloquer une enveloppe de 19 milliards de dollars d’ici 2025.

Partager

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email
Print