Interview de Jean-Paul MOATTI, Président Directeur Général de l’Institut de Recherche pour le Développement

Nous travaillerons ensemble à thecamp les 4 et 5 décembre sur l’exploration de nouvelles pistes de collaboration intelligentes entre chercheurs et startups africaines autour de thématique fondamentales dans le cadre d’un Lab d’intelligence collective qui sera facilité par SoScience au cours de la matinée du 4 décembre. Les propositions concrètes seront restituées durant une grande plénière Science le 5 décembre et feront l’objet d’un Livre Blanc EMERGING Valley afin d’être expérimenté en grandeur nature, en 2020, dans un bootcamp sur le continent africain !

Ne manquez pas également la grande plénière autour des “SCIENCE PRENEURS” qui se tiendra la matinée du 5 décembre en présence de la Commission Européenne et de nombreux ministres africains de la recherche et de l’innovation à thecamp !

Vous soutenez Emerging Valley depuis 2018, pour quelles raisons ?

La France est le seul pays au monde à avoir conservé un organisme public de recherche dédié à la coopération avec les pays en développement, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Nous avons fêté nos 75 ans d’existence cette année et montré que ce qui était une institution coloniale à l’origine a su se transformer en son exact contraire : un outil original de partenariat scientifique équitable avec les systèmes d’enseignement supérieur et de recherche dans les pays du Sud. Soutenir Emerging Valley est donc en parfaite adéquation avec notre mission. D’autant que la thématique science/société est cette année au cœur de cet évènement. De plus nous sommes l’un des rares organismes nationaux dont le siège est décentralisé hors région parisienne, en l’occurrence à Marseille. Emerging Valley est une occasion unique de rassembler des acteurs de différents écosystèmes d’innovation des pays partenaires de l’IRD, mais aussi d’échanger avec nos partenaires marseillais.

Selon-vous, quel rôle Marseille doit jouer pour renforcer l’innovation entre les deux continents Europe et Afrique ?

C’est en 2008 à Marseille qu’a été adoptée la Charte Européenne des Villes durables qui anticipait sur l’agenda 2030 des Objectifs de Développement Durable (ODD). Depuis cette date, la plupart des métropoles européennes ont progressé vers ces objectifs. Marseille beaucoup moins que les autres alors qu’elle devrait être la capitale méditerranéenne du développement durable et qu’elle a la chance, sur son territoire, de bénéficier d’un très important réseau d’expertise académique, socio-économique et de la société civile. Plusieurs leviers peuvent être actionnés pour favoriser une démarche d’innovation responsable sur le territoire : mieux accompagner les diasporas dans leur volonté d’entreprendre, favoriser l’accueil des entrepreneurs africains qui voudraient s’installer en France, favoriser l’accueil d’étudiants.

Comment rapprocher le monde de la recherche et l’entrepreneuriat innovant pour résoudre les problématiques partagées sur l’axe stratégique Europe, Méditerranée et Afrique, notamment en matière de lutte contre le changement climatique ?

La première mission de l’IRD est de promouvoir ce qu’on désigne désormais sous le vocable de la « science de la durabilité » (sustainability science), c’est-à-dire une recherche interdisciplinaire et intersectorielle qui contribue directement à la modification des trajectoires actuels de développement qui renforcent les inégalités et transgressent les limites de l’environnement planétaire. C’est une science qui doit proposer des solutions aux problèmes rencontrés sur le terrain par les populations et qui doit donc être « participative » c’est-à-dire co-construite avec les territoires concernés. Nos chercheurs contribuent ainsi de longue date à la préservation des « biens communs » essentiels de la zone intertropicale et méditerranéenne (forêts, ressources en eaux, sols, points chauds de biodiversité).

Comme le souligne le premier rapport quadriennal d’évaluation indépendante de la mise en œuvre des ODD (GSDR 2019), auquel j’ai participé comme expert et qui a été remis fin Septembre aux Nations Unies, réorienter nos modèles vers le développement durable implique d’entraîner dans cette direction au moins 20% de l’investissement annuel mondial.

 C’est possible, et le secteur public comme les banques de développement peuvent jouer un rôle d’exemplarité. Toutefois, cela ne fonctionnera pas si des pans massifs du  secteur privé ne jouent pas le jeu : de plus en plus d’entreprises doivent assumer ce tournant vers plus de responsabilité sociale et environnementale.

Des partenariats privé-public équilibrés doivent contribuer à créer des écosystèmes de l’innovation ouverts entre l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique en lien avec les usages locaux, et  favorisant l’émergence de ces entrepreneuriats responsables

L’IRD s’engage fortement cette année en mettant en place un lab de co-construction entre chercheurs et startups d’Europe, de Méditerranée et d’Afrique, quel est l’objectif de cet atelier ?

L’enjeu est vraiment de contribuer à trouver des solutions dont l’impact soit réel et positif pour les populations comme pour leur environnement. Il est impératif que le monde économique – qui parfois en est plus conscient que les décideurs publics ! – soit convaincu que les meilleurs projets, les plus innovants ne sont pas viables sans la science. Nous pouvons ainsi, au travers de ce lab, à la fois sensibiliser les start-up à la démarche scientifique mais aussi démythifier la recherche, en montrant que nos enjeux sont proches. Le lab doit permettre aussi d’identifier des secteurs clés d’intervention et d’intérêt communs et ouvrir le champ des possibles. Par exemple, le numérique est très vorace en énergie ce qui pourrait freiner le nécessaire abandon des énergies fossiles mais il peut aussi offrir des solutions à la fois durables et rentables pour favoriser l’agroécologie, l’égalité femmes-hommes etc.

Comment mieux travailler pour mettre en pratique après l’évènement les recommandations qui ressortiront de ce lab ?

Au-delà de mieux découvrir, expliquer, rapprocher nos pratiques et domaines respectifs, la finalité est effectivement de favoriser des partenariats post-événement entre chercheurs et start-ups, et qui soient susceptibles à terme d’intéresser aussi les grands groupes et les bailleurs du développement. Avec les organisateurs d’Emerging Valley, nous réfléchissons à d’autres événements en 2021 (bootcamp, programmes multi-acteurs).

Une plénière le 5 décembre est consacrée aux liens entre la recherche fondamentale et l’entrepreneuriat innovant, qu’attendez-vous de ces débats ?

La science de la durabilité que nous voulons promouvoir, en accord d’ailleurs avec les plus prestigieuses institutions scientifiques mondiales, correspond à un changement de paradigme dans la façon de faire de la recherche. On ne part plus de la dynamique propre d’avancée des connaissances en soi, qui demeure le principal moteur de la science, mais on mobilise autant que de besoin toutes les disciplines, des plus fondamentales aux plus appliquées, dans l’objectif du développement durable.

C’est en ce sens que le lien entre recherche et entreprenariat est primordial : dans un contexte de défis planétaires, si l’entrepreneuriat innovant se passe de la science, les solutions proposées risquent de ne pas être viables et durables, car les risques et enjeux, locaux et planétaires, n’auront pas été suffisamment pris en compte.

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